Comprendre le savoir-faire de l’olfaction avec notre nez, Florian Gallo
Un savoir-faire, c’est un tour de main.
C’est « une habileté manuelle ou intellectuelle, une compétence acquise par l'expérience, par l’apprentissage dans l'exercice d'un métier, d’un art, d’une discipline », nous explique le dictionnaire.
Dans le cas de l’olfaction, on aime effleurer l’idée d’un savoir-faire sensoriel, lié au sens de l’odorat, au « nez ». C’est le « savoir sentir ».
C’est savoir exprimer par les mots les ressentis que nous procurent une odeur, comme on exprimerait les arômes d’un vin ou les saveurs d’un plat.
Rencontrons aujourd’hui un fin connaisseur de l’olfaction, Florian Gallo, parfumeur-créateur dans l’une des plus exigeantes maisons de composition de parfums à Paris, dsm-firmenich, pour apprécier cette première mise en bouche, aussi spontanée que soignée, du savoir-faire de l’odorat.
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Comment fais-tu pour te connecter au monde ambiant, aux odeurs ?
Est-ce qu’il y a une technique ou des bonnes pratiques pour savoir sentir ?
As-tu un exemple à nous partager ?
Pourquoi c’est différent pour un parfum ?
Comment sentir des matières premières quand on n’est pas du monde de la parfumerie ?
LE SAVOIR-FAIRE DE L’OLFACTION, QU’EST-CE QUE C’EST ? EST-CE UN DON OU TOUT LE MONDE PEUT APPRENDRE A SENTIR ?
Florian Gallo : Tout le monde pense que c’est un don, mais, ce n’est pas un don du tout. Tout le monde a la capacité de savoir sentir. L’olfaction est un savoir-faire qui s’apprend, qui se travaille, qui se développe.
Au départ, ça commence tout simplement par une envie. Et puis, pour arriver à déchiffrer les odeurs, les parfums, la qualité principale avant toute chose est la sensibilité. Si l’on dispose d’une personnalité sensible, on sera plus alerte et plus facilement connecté au sens olfactif dans sa vie. Il y a un aspect un peu méditatif aussi. En se concentrant vraiment dans le moment présent, on devient beaucoup plus ouvert et plus conscient des odeurs autour de soi.
Finalement, les deux qualités les plus essentielles au savoir-faire de l’olfaction, selon moi, c’est premièrement, la sensibilité, l’ouverture d’esprit, le fait de prendre le temps de se connecter au monde ambiant avec toutes ses odeurs, et deuxièmement, ce travail de concentration, cette volonté d’apprendre.
CONCRETEMENT, COMMENT FAIS-TU POUR TE CONNECTER AU MONDE AMBIANT, AUX ODEURS, JUSTEMENT ?
F.G : Je le fais de façon inconsciente. Je pense que mes collègues parfumeurs le font aussi. On est sans arrêt en alerte vis-à-vis du monde ambiant, des odeurs qui nous entourent, des odeurs que l’on peut sentir tous les jours. Le matin par exemple, je me réveille et je sens tout, du dentifrice au gel douche. Je remarque certains matins que je vais mieux sentir ou sentir de façon plus puissante que la veille. Ça relève de l’habitude, d’une routine quotidienne, un peu comme un scroll sur les réseaux sociaux.
Et après, le secret pour « savoir sentir » est de se servir de sa mémoire et de ses émotions. Ce que l’on nous apprend dans les écoles de parfumerie, dans mon cas, à l’ISIPCA à Versailles (Institut Supérieur International de la Parfumerie, de la Cosmétique et des Arômes) ou dans l’école interne d’une maison de composition de parfums à Grasse, c’est être capable d’associer un souvenir, une émotion, aux odeurs que l’on sent, que l’on apprend et de les exprimer en détail.
EST-CE QU’IL Y A UNE TECHNIQUE OU DES BONNES PRATIQUES POUR SAVOIR SENTIR ?
F.G : Il y a plein d’apprentissages et de méthodes différentes pour apprendre les odeurs. Celle que j’ai apprise, qui est le travail d’un parfumeur, d’un élève parfumeur, et qui est aussi la plus réputée, c’est la méthode d’olfaction par Jean-Carles.
Jean-Carles était un parfumeur grassois très reconnu, au temps de la parfumerie du début du 20° siècle. Il était aussi un grand professeur et pédagogue puisqu’il a créé des théories et des bonnes pratiques pour exercer le savoir-faire olfactif de façon quotidienne et pour apprendre le métier de parfumeur dans la création de formules de parfum.
La méthode Jean-Carles pour apprendre à mémoriser les odeurs et les classer est finalement assez simple. Ça consiste en un tableau à double-entrée. D’un côté, il y a les colonnes « familles olfactives » qui vont permettre de classer les matières premières de la parfumerie par catégorie : fleurs, bois, agrumes, etc. De l’autre côté, il y a les lignes « études », qui correspondent aux matières premières étudiées. Dans chaque étude, on aura forcément une fleur, un bois, un agrume, etc.
L’idée, c’est d’abord de remplir toutes les lignes du tableau, et ensuite de sentir les matières premières de chaque colonne, donc de chaque famille olfactive, pour apprendre à les différencier entre elles. C’est ce qu’on appelle l’olfaction par contraste ou par comparaison.
Dans l’école à Grasse où j’étais, mon professeur m’avait conseillé et demandé de rattacher chaque odeur qu’on étudiait à un souvenir, un ressenti, une émotion. On commence comme ça à sentir, avec des souvenirs et des émotions. Après, plus on avance dans l’apprentissage, plus on va être, au fur et à mesure, capable de rentrer dans le côté technique.
AS-TU UN EXEMPLE A NOUS PARTAGER ?
F.G : Il y a une odeur qui me frappe encore aujourd’hui, c’est l’huile essentielle de citron. C’est la première matière première que j’ai appris à sentir. Ce qui m’était venu à l’esprit la première fois, c’était : « ah ça, ça me fait penser aux bonbons citronnés qu’on prend quand on a mal à la gorge », ce côté très acidulé, très bonbon, un peu « Drill ».
Et aujourd’hui, ce sentiment n’a pas changé pour moi, même si j’ai acquis du savoir-faire au fur et à mesure des années. Pour moi, l’odeur de l’huile essentielle de citron, c’est toujours ce sentiment de pastille un peu médicamenteuse, la pastille que je prends quand j’ai mal à la gorge. Mais qu’est-ce qui définit cette émotion, cette sensation ? Car une fois que l’on apprend que l’odeur de citron nous fait penser à « ça », la question suivante est de se demander : « comment, maintenant, je vais différencier le citron de l’orange dans la famille des agrumes ? ».
Par exemple, quand je sens l’odeur de citron, j’ai cette sensation d’acidulé. Pourquoi ça me rappelle ce bonbon-médicament là, parce que c’est acide. Alors que pour l’orange, l’odeur se rapprocherait plus d’un côté « pulpe », ça donne l’impression de la pulpe d’orange, le côté juteux, le côté sucré de l’orange.
En fait, ce qui est intéressant dans le monde de l’olfaction, c’est qu’il n’y a pas vraiment de vocabulaire lié à l’odeur. Les seuls mots « repères » que nous avons, ce sont les familles olfactives. On va se demander : « est-ce que c’est une fleur ? un agrume ? un bois ? ». Mais après ? Il existe tellement d’odeurs de fleurs, de bois ou d’agrumes différentes. C’est à cette étape-là qu’on va commencer à aller dans le détail. Car, pour décrire et exprimer plus précisément une odeur, on va utiliser des mots, qu’on appelle « descripteurs » qui sont liés à l’image, au toucher, au goût, qui sont liés aux autres sens. On ne va pas vraiment utiliser un vocabulaire spécifique de l’odeur, mis à part les noms techniques des molécules. Si je parle d’une odeur verte, fraîche, d’herbe coupée, c’est plus parlant que de dire du « cis-3-hexenol ». Mais, ça, c’est si on veut devenir parfumeur ou travailler dans le savoir-faire de l’olfaction.
C’est comme ça que, petit à petit, jour après jour, mois après mois, on développe un vocabulaire lié à l’odeur. C’est en allant dans ce genre de détails qu’on va se perfectionner. En fait, sentir, ça fascine tout le monde, mais à force de faire l’exercice, ça se fait assez facilement, bien que ça prenne du temps.
Après, je parle uniquement d’un point de vue matière première, car pour un parfum, c’est différent.
POURQUOI C’EST DIFFERENT POUR UN PARFUM ?
F.G : C’est différent parce qu’un parfum, c’est quoi ? Un parfum, c’est un mélange de matières premières, de molécules, qu’elles soient naturelles ou reconstituées, et c’est ce mélange qui donne une composition parfumée complexe. Un peu comme le vin.
Sentir un parfum peut dérouter beaucoup de personnes. On va se dire « ouais, j’aime bien mais je ne sais pas pourquoi j’aime bien ». Et c’est normal. Parce qu’il y a une multitude de matières premières dedans. Il faut avoir un niveau d’expertise assez haut, en tout cas beaucoup de pratique, pour savoir décrire ou reconnaître un parfum.
Par exemple, si vous avez senti un « Shalimar » (Guerlain), c’est un accord typique de l’ancienne parfumerie, un accord de notes ambrées, un accord de base que vous allez potentiellement, avec beaucoup de pratique, ressentir dans d’autres parfums.
D’un point de vue plus simple et didacticiel, « savoir sentir » commence par la matière première avant le parfum. Car vous allez commencer à reconnaître certaines matières premières que vous aurez déjà senti, et ça deviendra de plus en plus simple de sentir un parfum. Vous allez, par exemple, reconnaître le côté acidulé du citron, la note sucrée de l’orange. Ça, ça va vous aider à dévisager un parfum, à retrouver ses différentes facettes, et aussi à savoir quelle matière première vous aimez.
Comme si vous aviez un puzzle déjà formé devant vous et que vous appreniez d’abord chaque pièce de ce puzzle et comment elles s’emboîtent. En commençant par sentir la matière première, c’est comme si on commence par sentir chaque pièce du puzzle, et ça sera beaucoup plus simple pour décrire le puzzle final, parce que vous allez comprendre comment décrire chaque pièce du puzzle qui constitue l’ensemble.
MAIS COMMENT SENTIR DES MATIERES PREMIERES QUAND ON N’EST PAS DE CE MONDE-LA ?
F.G : C’est complexe, c’est vrai. Mais, il y a quand même des choses de tous les jours qui sont possibles à sentir et qui peuvent facilement nous aider à pratiquer l’olfaction.
Par exemple, c’est simple de sentir des agrumes parce que ce sont des matières premières dont on peut avoir facilement l’accès au quotidien et qu’on va utiliser en parfumerie.
En ce moment, c’est la saison des clémentines et des oranges. Vous pouvez vous amuser à gratter la peau d’orange ou de clémentine, c’est là que se trouve l’huile essentielle que vous pouvez sentir. Puis, mémoriser que l’orange, ça sent « ça » pour vous. En parfumerie, on va littéralement utiliser cette huile essentielle dans la composition d’un parfum.
En cuisine, on a aussi les épices par exemple. On peut s’acheter des épices ou aller dans une boutique à épices car toutes les épices que vous allez voir, la plupart sont utilisées en parfumerie : le poivre rose, le poivre noir, la cannelle, la cardamome, la vanille… Et on peut commencer tout simplement par là. J’ai commencé par là aussi.
EST-CE QU’ON PEUT S’ENTRAINER A SENTIR AVEC UNE AMBIANCE, UN ENVIRONNEMENT OLFACTIF DANS LEQUEL ON VIT AU QUOTIDIEN ? PAR EXEMPLE EN CE MOMENT, ON RENTRE DANS L’HIVER ET ON COMMENCE A SENTIR UN PEU PARTOUT L’ODEUR DES MARRONS CHAUDS, GRILLES, DANS LA RUE.
F.G : Oui, c’est aussi ça. Si on n’a pas le temps de sentir les matières premières naturelles avec les épices, les agrumes ou autre, il y a aussi cet exercice, plus cérébral, lié à la mémoire, de se dire : « à quoi cette odeur me fait-elle penser ? ».
Quand on se retrouve devant un parfum peut-être que la première chose à se dire c’est : « ok, j’aime ou je n’aime pas ? ». Ça, de toute façon, c’est indéniablement quelque chose que l’on va faire, inconsciemment et automatiquement, quand on ne connaît pas quelque chose. Si je n’aime pas, je l’écarte et je peux en avoir peur comme je ne l’aime pas. Mais si je l’aime, la question que l’on peut se poser est assez simple : « qu’est-ce qui me plaît là-dedans ? », « est-ce que ça me rappelle quelque chose d’agréable ? », « est-ce que ça me rappelle un environnement que je connais ? ».
Ça peut être ce que tu dis : « ça, ça me rappelle le marron chaud qu’on fait griller dans la rue », ou « ça me rappelle les marrons chauds que cuisinait ma grand-mère ou mon grand-père », parce que, forcément, les parfumeurs l’ont sans doute déjà vécu et ont fait en sorte de retranscrire en odeurs ces sentiments-là dans un parfum. Alors c’est peut-être un peu nian-nian à dire, mais nous, les parfumeurs, comme on est des créateurs d’émotions quelque part, on va traduire ce que l’on a vécu en odeurs, transmettre des émotions dans un flacon. Ça rappelle forcément des émotions les parfums, parce que ce sont des mélanges d’émotions, il y a plein d’émotions dedans.
Après, ça parlera à ceux qui ont vécu la même chose ou pas d’ailleurs. Car finalement, l’émotion ou le ressenti que l’on a quand on sent un parfum, on va se l’approprier, le relier à sa propre vie, à son propre vécu. Par exemple, quand on veut créer une note vanillée, on y met une inspiration et une intention derrière, donc cette odeur va forcément faire rappeler à quelqu’un la crème brûlée que faisait sa grand-mère ou son grand-père ou son cousin, l’odeur du sucre vanillé qu’on utilise pour faire un gâteau, ou l’odeur de son gel douche à la vanille.
Je pense que c’est ça, « savoir sentir », c’est s’ouvrir à ses propres ressentis, à ses propres émotions, à son propre vécu.
QUELQUES HUMBLES CONSEILS POUR S’EXERCER A L’OLFACTION ET METTRE DES MOTS SUR UN PARFUM
Retrouvez nos humbles conseils pour affiner votre sens de l’odorat et vous essayer à la pratique de l’olfaction et de mettre des mots sur une odeur. Une affaire parfois intimidante, mais délicieuse.